Guide de conversation superficielle en langue savante

Guide de conversation superficielle en langue savante - Le Mot Juste. Particulièrement utile si vous nagez dans des eaux mondaines...

Guide de conversation superficielle en langue savante

INVITÉ(E) À UN DÎNER MONDAIN ? CET ARTICLE (HUMORISTIQUE ET DÉCALÉ) PEUT VOUS SAUVER LA MISE SI VOUS N’AVEZ NI CULTURE À ÉTALER, NI CHARISME À DISTILLER EN VOUS DONNANT LES CLÉS D’UN BAGOUT À TOUTE ÉPREUVE. COMME L’A DIT L’AUTEUR DU VOYAGE DE GULLIVER, « LA NATURE A DOTÉ CHAQUE HOMME DE LA POSSIBILITÉ D’ÊTRE AGRÉABLE À DÉFAUT D’AVOIR ACCORDÉ À TOUS LE DON DE BRILLER EN COMPAGNIE ». QU’IL S’AGISSE DE CLÔRE LE BEC DE SON INTERLOCUTEUR EN DÉCOUPANT UN CANARD OU DE NOYER LE POISSON À L’HEURE DU SAUMON FUMÉ, VOUS CONNAITREZ TOUS LES INGRÉDIENTS SECRETS POUR MEUBLER LE SILENCE GRÂCE À CE GUIDE DE CONVERSATION SUPERFICIELLE EN LANGUE SAVANTE.

DIGESTION CULTURELLE


Lire le Manuel de survie dans les dîners en ville, par Sven Ortoli et Michel Eltchaninoff, aux Editions Seuil.

Pour commencer, voilà un guide pratique à ne pas dédaigner. Tous deux rédacteurs pour Philosophie Magazine, Sven Ortoli et Michel Eltchaninoff ont élaboré cet objet littéraire volontairement superficiel où le second degré est de mise. Ce manuel sociétal comique est découpé en chapitres d’outils conversationnels thématiques à utiliser avec vos voisins de tablée, chacun correspondant aux différents temps forts du dîner. « C’est l’heure lourde. Le café est avalé, le cognac siroté, et la conversation doucement s’éteint dans l’âtre. Mais le philosophe de service n’a aucune envie de partir et cherche un prétexte ». De l’arrivée au digestif en passant par l’apéritif, les entrées, le plat principal, la salade, les fromages, le dessert et le café, science, mythologie, philosophie et politique se mêlent habilement dans un discours adaptatif. On ne parle pas de Candide au dandy lors de la pause clope sur le balcon comme on en parlerait au gauchiste amateur de Tocqueville en lui passant la saucière. Tout est affaire de circonstances !

Mieux vaut ouvrir ce livre si l’on maîtrise l’ironie et si on est aguerri au mixage de références qui n’ont rien en commun ; comme on parcourrait un plateau de mignardises pour choisir sa favorite, on jongle ici avec des sujets sérieux comme avec des concepts culturels contemporains : « La girl next door est un concept aisément compréhensible pour peu qu’on maîtrise la langue de Desperate Housewives » ou autres paradigmes qui interloquent : « Non merci, je ne prends pas de dessert, je suis épicurien ». Que vous ayez l’intention de briller, d’irriter ou de simplement animer l’audience, vous connaîtrez tous les ingrédients secrets pour meubler le silence. « Vous attribuerez les frémissements de narine de votre interlocuteur à son extrême intérêt » mais nous ne vous garantissons aucunement d’être réinvité par votre hôte… Serait-ce là une occasion inestimable de tester son amitié ? On peut certes reprocher au livre d’être un peu daté (écrit à une époque que les wokistes ne peuvent pas connaître) mais c’est une valeur sûre pour rire en stimulant sa réflexion.

Et si après cette lecture vous n’êtes pas rassasié de joute verbale, vous pouvez aussi visionner Le souper d’Edouard Molinaro avec Claure Brasseur et Claude Rich (1992) ou bien La Grande Bougge (1973) de Marco Ferreri avec Michel Piccoli et Marcello Mastroianni.

UNE QUESTION DE LANGAGE

Pour briller, misez sur les adverbes, particulièrement ceux en -ment dont vous ne craindrez pas l’accumulation, distillez un néologisme ou deux qui retiendront l’attention (dans le genre « je me fiche de respecter les codes ») et demandez à votre interlocuteur ce qu’il pense de X (un docteur en vogue, le créateur d’un logiciel qui a fait la richesse de quelques convives, un ministre controversé…) comme si vous et lui connaissiez l’individu discuté. Vous pouvez ensuite rivaliser à qui mieux mieux pour savoir qui l’a approché de plus près. J’ose ajouter que si vous êtes à Paris, il est de mise de tutoyer sans préambule ! Enfin, si vous multipliez les formules de politesse, vous avouerez ne pas appartenir à ce monde-ci, je vous suggérerai donc de les passer sous silence, soyez plutôt direct.

LE B.A-BA DES MONDANITés

S’instruire
Nul besoin de se souvenir de ses cours de philo, quelqu’un, autour de la table, se chargera toujours de mentionner un philosophe ! La première règle de tout dîner en ville, c’est d’oublier que les propos sont censés faire du bien à celui qui écoute et non à celui qui parle. Qui écoute a tout intérêt à trouver dans la péroraison alentours de quoi nourrir sa culture générale…en prévision du prochain dîner.

Avaler de l’air
On le sait, généralement, dans ces dîners, celui qui semble en connaître un rayon sur la question ne fait que répéter ce qu’il a lu ou entendu. Il régurgite. Il en va comme pour l’extase charnelle, c’est souvent celui qui en parle le plus qui en fait le moins… Laissez cet individu s’épuiser tout seul. Il n’y a que deux façons de l’arrêter : ne pas répondre (il a préparé toutes ses réponses à l’avance, il n’a pas assez de jus pour continuer tout seul) ou le laisser se remplir d’air (une fois ballonné, il devra quitter la table).

Savoir excuser un retard
Les enfants trouvent leurs excuses dans les blagues Carambar, les adultes les énoncent avec aplomb, choisissant d’affronter les yeux de l’assistance plutôt que de faire porter l’attention sur le prétexte énoncé. Mais n’oubliez pas que si vous êtes un tantinet « célèbre » (un expert dans votre profession, un être doté de charisme, ou tout bonnement si vous êtes attendu), l’intensité de la joie des invités à vous voir apparaître est proportionnelle à l’attente qui précède votre arrivée. Dès lors, toute excuse prononcée sera acceptée avec enthousiasme car vous ferez honneur à la soirée en la gratifiant de votre présence -attendue, non garantie et source de joie- si bien que vous pourrez vous aussi piocher dans les options Carambar.

Apprendre à retomber sur ses pattes
Qui n’a jamais dégainé un trait d’esprit pour faire oublier le slurp ragoûtant qui accompagne l’engloutissement d’une huître trop charnue ? À l’heure où la rhétorique n’est plus au programme de l’Éducation nationale et où proposer un match de citations trahira seulement votre addiction à Netflix, il convient de vous armer plus habilement. Comment retomber sur ses pattes efficacement en cas d’impasse du discours ? Je vous propose trois options : 1) commenter l’opulence du buffet (tout en vous dirigeant vers celui-ci à moins que vous n’y soyez déjà) 2) si vous n’avez pas de réponse à donner à la question que l’on vient de vous poser, posez-en une en retour – à renouveler autant que nécessaire, jusqu’à épuisement 3) Que vous soyez dans le cas du slurp ragoûtant ou de la question difficile, excusez-vous de vous montrer ainsi faible et blâmez votre divorce d’une(e) partenaire pervers(e) narcissique ou le trouble en vogue que l’on vient de vous diagnostiquer.

Être au courant
« J‘ai vu sur LinkedIn que nous avons été à la même université ». Voilà, c’est tout. Peu importe le degré d’importance de l’information sélectionnée, vous devez savoir quelque chose.

WHO’S WHO ?


Un bon conseil, avant d’accepter une invitation, révisez votre CV. Le jeu qui tient la chandelle allumée dans ces attroupements, c’est de reconnaître qui est qui et pourquoi ces « qui » sont là. Lorsque viendra votre tour d’être présenté, vous feriez mieux d’avoir une idée quant à la raison de votre présence : est-ce votre penchant arriviste, votre dernière chronique LinkedIn ou votre récent mariage avec la haute qui justifie votre place autour de la table ? C’est peut-être simplement votre métier. Préparez une petite légende personnelle dans laquelle vous noyer allégrement (voir storytelling et techniques d’auto-promo sur les réseaux sociaux) et répétez vos silences. Et puis, pourquoi ne pas pousser la chansonnette ? Surtout si personne ne vous le demande ! Pour inscrire son nom dans le who’s who de manière durable, il ne faut être simplement vu mais aussi et surtout m’as-tu-vu. Pour cette même raison, réfléchissez à deux fois au bras de qui vous vous présenterez.

PAROLE LIBRE VS DISCOURS UNIQUE

Le grand dilemne du dîner mondain c’est choisir entre ouvrir et enrichir un débat ou dire ce que tout le monde dit déjà, soit prôner le discours unique (pléthore de sujets s’offrent à vous : les progrès de la médecine, l’actualité du gouvernement avec, en option, les prochaines élections, l’analyse politico-économique d’un conflit dans un pays où vous n’avez jamais foutu les pieds, Peu importe le sujet choisi, dès lors qu’il divise, vous pouvez choisir un camp, celui qui porte la parole qui n’est pas la sienne (voir ce que j’en pense dans cet article) ou celui qui discute tout ce qui parvient jusqu’à lui pour se forger sa propre opinion…

J’espère vous avoir fait sourire… 

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